Réduire les risques d’inondations du lac Saint-Pierre

Mon pays c’est l’hiver… puis la glace et les plantes aquatiques

Au Québec, printemps après printemps, la plaine du lac Saint-Pierre est l’une des régions les plus vulnérables aux inondations. Certaines sont plus prononcées que d’autres, comme celle qui est survenue en 2019 et qui a transformé les abords de l’autoroute 40 en un immense lac entre Yamachiche et Berthierville. Les changements climatiques risquent encore d’accentuer le phénomène.

D’où l’intérêt de la vaste étude interdisciplinaire dirigée par le chercheur Andrea Bertolo, professeur en écologie aquatique à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), et soutenue par le Réseau Inondations InterSectoriel du Québec (RIISQ) ainsi que par le Réseau Québec maritime (RQM). En quelques mots, il s’agit de comprendre les interactions entre la glace et les herbiers aquatiques, car celles-ci peuvent avoir une incidence sur les risques d’inondation.

Le professeur Bertolo, originaire d’Italie, a baptisé son étude « Mon pays c’est l’hiver ». Depuis 2012, il s’intéresse à la question des plantes qui poussent sur le lit du lac Saint-Pierre. Il s’est rendu compte que la manière dont la glace hivernale intervient sur la dynamique de cette végétation avait été peu explorée.

Comment la lumière du soleil arrive-t-elle à se frayer un chemin jusqu’aux plantes situées sous la glace? À l’inverse, comment ces plantes peuvent-elles influencer la solidité de la glace, par exemple dans les zones peu profondes? En bout de piste, peut-on imaginer prévoir les risques d’embâcle en amont lors de la fracture de cette glace, qui peut alors augmenter le risque de débordement du fleuve au printemps?

« C’était une grande boîte noire, affirme le professeur, mais l’écologie hivernale aquatique est devenue, depuis peu, un enjeu d’actualité du fait de ses ramifications… C’est un tout nouveau pôle d’expertise qui se met en place, malgré des contraintes comme le fait de s’aventurer sur la glace dont on ne connaît pas toujours l’épaisseur! »

Voir à travers la glace

À cet égard, l’étude peut notamment compter sur l’apport d’Alexandre Roy, professeur en télédétection en sciences de l’environnement à l’UQTR, qui travaille sur le projet avec son collègue Christophe Kinnard.

À partir de données recueillies par le satellite canadien Radarsat-2, le professeur Roy a travaillé à caractériser les types de glace ainsi que leur phénologie, c’est-à-dire leurs cycles d’apparition et de disparition.

L’objectif d’Alexandre Roy et de son équipe est la suivante : « Notre ambition est de parvenir à réaliser l’épaisseur de la glace à partir des images radar. Cette information peut contribuer à mieux comprendre l’hydrologie du lac et ses répercussions sur les inondations du printemps ».

Autrement dit, grâce à la télédétection qui s’est affinée, il examine les données pour voir les mouvements de la glace d’année en année.

Mesure de l’épaisseur de la couche de neige par dessus la glace (crédit: Gabrielle Crête).

Le reste du travail revient aux chercheurs sur le terrain. Est-ce que l’épaisseur de la glace joue ensuite un rôle? Est-ce qu’on pourrait ainsi prévoir la suite? Alexandre Roy poursuit en affirmant « […] si plus de plantes poussent au fond du lac, il se peut qu’elles contribuent à ralentir la vitesse du fleuve et qu’elles modifient la phénologie de la glace ».

« Nous travaillons ainsi à établir un modèle basé sur l’historique de ce couvert », dit Andrea Bertolo. Il souligne que la glace qui casse peut causer des embâcles annonciateurs d’inondations, mais qu’elle dépend en partie de la végétation aquatique, d’où l’importance de comprendre comment les deux s’influencent mutuellement.

C’est également dans ce contexte que le projet peut compter sur l’apport de Julie Ruiz, géographe et professeure en sciences de l’environnement à l’UQTR.

Madame Ruiz s’est notamment penchée sur la question suivante : comment est-ce que les populations riveraines perçoivent ces relations, au moins intuitivement? Comment arrimer ces perceptions avec ce que d’autres parties prenantes connaissent?

L’importance de partager les données

Madame Ruiz soulève l’importance de partager les données : « Surtout que plein d’informations ont été amassées, mais qu’elles n’ont pas été véritablement partagées, comme si chacun travaillait en silo ».

Dans les faits, pour ce qui est de la glace, de nombreux intervenants ont pu recueillir des connaissances au fil du temps : la Garde côtière canadienne, le Service canadien des glaces, les différents acteurs fédéraux et provinciaux pour la pêche et la faune, le ministère de la Sécurité publique du Québec, pour en nommer que quelques-uns.

L’échantillonnage de glace se fait grâce à des carottiers, qu’il faut faire pénétrer par rotation (crédit: Gabrielle Crête).

La carotte de glace est ensuite mesurée et étiquetée pour la préservation et l’analyse (crédit: Gabrielle Crête).

« Et tout ce beau monde accumule des données en considérant son propre objet, mais les missions ne se croisent pas, c’est ce qu’il faudrait pour parvenir à une véritable gestion intégrée pour la santé de l’écosystème du lac Saint-Pierre », souligne-t-elle. Par exemple, certains considèrent la glace pour elle-même avec l’objectif de maintenir le chenal ouvert pour la navigation, mais investiguer la vigueur des herbiers n’entre pas dans leurs attributions, et vice-versa.

« On sent le besoin pour le partage de ces informations, mais il n’existe pas encore de motivations qui poussent les intéressés à se parler ni de porte d’entrée claire, ajoute-t-elle, de là l’importance d’aller au-devant des populations, des scientifiques et des gestionnaires ». Et elle s’emploie précisément à développer ce genre de démarche participative.

Au bout du compte, avec toutes les données recueillies et celles des relevés du professeur Roy, le projet devrait permettre la confection d’un modèle qui découle d’un outil mis au point à l’UQTR par Pierre-André Bordeleau, géomaticien au centre RIVE, dans le cadre du Pôle d’expertise multidisciplinaire en gestion durable du littoral du lac Saint-Pierre.

« Le modèle est très précis pour les inondations printanières, mais il ne prend pas en compte la glace, d’où son intérêt pour notre projet, dit Andrea Bertolo. Il peut prédire ce qui s’en vient, c’est impressionnant, ça colle avec les images satellites. On pourra alors comparer les zones effectivement inondées en présence de glace avec celles que le modèle aurait identifiées et vérifier son efficacité ».

Mais sa passion, au-delà de l’intérêt évident pour la prévisibilité des inondations, demeure de saisir toutes les interactions entre la glace et les herbiers aquatiques, ainsi que leur influence dans un écosystème aussi complexe que celui du lac Saint-Pierre, où se déroule toujours, par exemple, une des dernières pêches lacustres commerciales dans le Saint-Laurent.

« Avec le réchauffement du climat, les épisodes extrêmes comme les embâcles hivernaux vont se reproduire, dit-il, de là l’importance de comprendre toute cette dynamique de manière à ajuster nos interventions, au besoin », et ce, pour maintenir l’écosystème du fleuve en santé.

Une partie de l’équipe du projet Mon pays c’est l’hiver : Gabrielle Crête (UQTR), Andrea Bertolo (UQTR), Jimmy Poulin (INRS), Dave Mongrain (UQTR), Alexandre Roy (UQTR), Pierre-Alexis Drolet (MFFP), Guillaume Canac-Marquis (MFFP),Thomas Jourdan (Université de Savoie, France) (crédit: Gabrielle Crête).


Ce projet est financé par :